La version de votre navigateur est obsolète. Nous vous recommandons vivement d'actualiser votre navigateur vers la dernière version.

La base sous-marine allemande de Lorient - Kéroman


Le site de Kéroman tel qu'il se trouve aujourd'hui (image Géoportail)Le site de Kéroman tel qu'il se trouve aujourd'hui (image Géoportail)

La base sous-marine de Lorient est un ensemble fortifié construit pour la Marine allemande (Kriegsmarine), pour l’entretien, la réparation et la protection de ses sous-marins lorsqu’ils ne sont pas à la mer.
Elle fait partie des 5 complexes fortifiés construits le long des côtes françaises, à savoir Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Bordeaux.
Dans son projet d’asphyxier l’Angleterre par un blocus maritime des navires venant des USA ou d’ailleurs, l’armée allemande compte sur ses sous-marins pour couler un maximum de navires en Manche et Atlantique. Mais ces engins nécessitent beaucoup de maintenance, ont une autonomie limitée en vivres, carburant, et ont besoin de réparations. Adolf Hitler demande que des bases sous-marines soient construites sur le littoral atlantique.
Lorient offre une situation idéale au niveau géographique, et est, au début de la guerre un port de pêche et marchand important, avec des infrastructures conséquentes.
La décision est prise le 25 octobre 1940 de construire une base sous-marine sur des terrains libres de la pointe de Keroman, qui avaient été réservés pour l’extension du port de pêche. Une première réunion a lieu à Lorient les 15 et 16 novembre avec l’ingénieur Fritz Todt. L’amiral Karl Dönitz choisit d’y installer son poste de contrôle des sous-marins allemands, et Lorient devient la base principale des U-boote. Le chantier, supervisé par Todt en personne, démarre en février 1941 et est assuré par la société allemande Carl Brand de Düren.La construction de la base est confiée à l’ingénieur en chef Triebel.
La Kriegsmarine commence par utiliser les installations existantes du port de pêche pour les premiers sous-marins, à savoir le « slipway » qui servait à la mise au sec des navires en réparation avant la guerre.

Il s’agit d’un plan incliné sur lequel on fait circuler au moyen d’un treuil un chariot qui vient se glisser sous la coque du navire et qui permet de hisser celui-ci sur un terre-plein. Une table tournante permet ensuite de « garer » le navire au sec, sur un ber (une structure portant la coque au sec).

Le site est aménagé, mais très vulnérable aux bombardements aériens, et rapidement l’Organisation Todt commence la construction de deux « dom-bunkers », deux abris bétonnés de forme ogivale, mesurant 81m de long pour 16m de large et 25m de haut.
Ces deux édifices permettent d’abriter 2 sous-marins une fois hissés au sec, et effectuer un certain nombre de réparations à l’abri de l’aviation ennemie. Ces édifices sont opérationnels courant mai 1941..
Les travaux des bâtiments K I et K II débutent dans la foulée, l’un et l’autre.
K I construction de février à septembre 1941 : 5 alvéoles de 82 m de long, 15 m de large et 10 m de haut + un système de slipway permettant de hisser les navires au sec et de les transférer dans les alvéoles, et par la suite dans celles du K II.
K II construction de mai à décembre 1941 (abrite ses 1ers SM en novembre) : 7 alvéoles mesure 82 m de long, 15 m de large et 10 m de haut (6 pour la protection des submersibles + 1 pour abriter le chariot transbordeur + 1 caserne pour 1000 hommes ( !)

La "Petite base du Scorff", blockhaus construit pour abriter 4 submersibles dans 2 alvéoles, avec une tour de flak au dessus. Il sera utilisé pour la charge des batteries et le remplissage du carburant avant les départs en missions.La "Petite base du Scorff", blockhaus construit pour abriter 4 submersibles dans 2 alvéoles, avec une tour de flak au dessus. Il sera utilisé pour la charge des batteries et le remplissage du carburant avant les départs en missions.Parallèlement à Keroman I, à quelques kilomètres de là a débuté à Lanester en novembre 1940 la construction d’une « petite » base sur la rivière Scorff. Il s’agit d’un bunker composé de deux alvéoles pouvant contenir au total 4 navires mesurant 128,65 m de long pour 51 m de large. Ce site sera opérationnel tout au long de la guerre en complément de Keroman. C’est là que seront effectués les pleins en vivres, carburant, charge des batteries avant le départ en mission des SM. Un encuvement pour un canon de Flak 4cm sur le toit de 3,5m d’épaisseur vient clore les travaux. L’inauguration officielle de cette petite base a lieu le 1er octobre 1941 par l’amiral Doenitz qui accueille à l’intérieur le U-124 de retour de mission. Ce bunker du Scorff a plusieurs inconvénients : les deux alvéoles s’envasent rapidement avec les cycles des marées et nécessitent un dragage régulier. De plus la construction se trouve en zone marécageuse et le bunker s’appuie sur près de 2600 pieux d’acier enfoncés à 20m de profondeur. Mais la masse de l’ensemble ne permet pas d’autres renforcements, notamment de la voute qui n’est prévue que pour résister à des bombes de « seulement » 1t.
A Keroman, au fur et à mesure de la montée en puissance du site et des besoins, ce sont 3 énormes bunkers dévolus aux sous-marins qui sont édifiés en un temps record, avec près des milliers d’ouvriers qui travaillent sur ces chantiers gigantesques, d’autant que Lorient devient une véritable forteresse, au service et pour la défense de la base de sous-marins. Chaque bunker possède, au bout de chaque alvéole, différents ateliers, peinture, tuyauterie, électricité etc.. Des spécialistes de chaque technique présente à bord des navires.
De nombreux ateliers sont construits dans le périmètre proche, mais d’autres infrastructures s’organisent autour, et c’est une véritable « industrie » qui tourne avec des milliers de personnes de près ou de loin en relation des activités de la base.
C’est aussi pour cela qu’à partir du 27 septembre 1940 la ville commence à être bombardée par l’aviation britannique, bombardements qui ne feront que monter en intensité, beaucoup de bombes incendiaires et explosives, qui visaient la ville, les installations portuaires, et en particulier la zone des différents chantiers d’abord, puis de la base sous-marine elle-même. La particularité de ces bombardements, qui faisaient des victimes civiles est qu’ils se produisaient de nuit, jusqu’à la nuit du 4 au 5 juillet 1941.
Les bombardements continuèrent par la suite, de jour, pendant une longue période, jusqu’au 14 janvier 1943, où vers 23h50, les bombes incendiaires puis explosives se mirent à tomber par centaine sur la ville. Le 15 janvier 1943 au soir nouvelle attaque massive, un gigantesque incendie se déclara et la ville brula quasiment jusqu’au 18 janvier. Bilan : 800 maisons et immeubles détruits, et une vingtaine de morts (presque un miracle).
La ville recevra du 14 janvier au 17 février 1943, plus de 500 bombes explosives, dont la plupart à grande puissance (1000 à 2000 kg) et, environ, 60000 bombes incendiaires. Les dégâts étaient terribles : 3.500 immeubles sur 5.000 étaient complètement détruits, la plupart des autres endommagés et inhabitables. 40.000 sinistrés, 71 morts et 73 blessés pour les victimes connues.
La base est évidemment visée : 80 ouvriers meurent lors d'un bombardement britannique dans la nuit du 16 au 17 mai 1941, 48 autres lors du bombardement américain du 21 octobre 1942 et 10 de plus lors du bombardement du 18 novembre 1942.

Photo aérienne de la construction du K I. Sur la gauche on voit un bout du T6.Photo aérienne de la construction du K I. Sur la gauche on voit un bout du T6.
Assez rapidement la taille des sous-marins pose problème. L’Allemagne pour agrandir le rayon d’action de ses submersibles en augmente logiquement la taille et les abris K I et K II finissent par être trop exigus, notamment en hauteur pour certains modèles, voire trop hauts pour d’autres.
Le bunker K III est construit de octobre 1941 à janvier 1943 (1er SM abrité 15 novembre 1942), 2 alvéoles doubles de 84m de longueur utile, 3 alvéoles doubles de 98,5m, 2 alvéoles simples de 95m
Le bunker K III est réalisé non pas avec un système de hissage au sec, mais plus classique de bassins munis de portes, que l’on peut assécher pour que les submersibles soient au sec.
Le K III dont l’épaisseur de toiture est de 3,5m, est renforcé d’une seconde épaisseur de béton de 2m au niveau des alvéoles, et est équipé d’un système innovant de poutrelles bétonnées qui permettent l’éclatement des bombes sans toucher le toit du bunker, ou encore un treillis métallique supporté par des murs bétonnés.
3 grosses tours de Flak sont aussi construites sur les dessus, pour contrer les attaques aériennes.
Deux navires, le « Strasbourg » et le « Crapaud » sont coulés face aux bassins à flot de K III par crainte des torpilles lancées par avion. Le Strasbourg est doté de mats sur lesquels sont accrochés des filets anti-roquettes.
Le 6 aout 1944 une bombe Tallboy de 5,4t ne cause que quelques dommages à la toiture, sans aucunement la perforer.

La Kriegsmarine passe commande en 1943 de sous-marins océaniques de type XXI, qui sont mis en service en 1944 pour les premiers. La base de Lorient est prévue pour les accueillir et en prévision, deux nouveaux bunkers doivent être construits pour les abriter et les réparer.
Ces travaux débutent à l’été 1943. Keroman IVa va être construit dans le prolongement du bâtiment K I, et sera doté également d’un système de slipway, d’un bassin à flot et de quatre alvéoles à sec, pouvant contenir chacune 3 navires.
La construction nécessite la condamnation du bassin du port de pêche et l’accès au slipway des Dom-bunkers.
Keroman IVb sera construit dans le prolongement du K II, séparé par le passage d’une voie ferrée, et s’appuiera sur les structures du K II. Il est prévu pour abriter 3 alvéoles pouvant contenir chacune 3 submersibles à sec. Au total 21 submersibles supplémentaires pourraient être mis à l’abris.
Mais le manque de matériaux (fer et béton) se font sentir et les travaux avancent doucement, avec une priorité sur K IVa, jugé prioritaire pour abriter les SM types XXI. Mais l’Organisation Todt mets aussi la priorité sur le mur de l’Atlantique au détriment de la base.
Si bien que les travaux s’arrêtent en avril 1944. Quelques pans de murs d’une nouvelle caserne, la future gare bétonnée qui devait permettre le ravitaillement de l’ensemble de la base, et le début de quelques structures des futures alvéoles sont sortis de terre.
Après le débarquement allié de Normandie, la Bretagne est progressivement libérée en aout, mais une partie des troupes se replie sur Lorient, qui forme une poche de résistance, la « poche de Lorient ». Cette poche regroupe, en plus de civils, 26 000 hommes, militaires et civils. La résistance s’organise, sur une ligne de front de près de 54 kilomètres fortifiée, qui se fiche par moment, et d’autres, avance ou recule.
Le 9 septembre 1944, le dernier U-boot, le U 155 est le dernier sous-marin allemand à quitter Lorient.
La réédition de la « poche de Lorient » est signée le 7 mai à 20h, et l’armistice le 8 mai 1945.
Les alliés entrent dans la ville de Lorient le 10 mai 1945. Au total se sont près de 492 carénages de submersibles qui seront effectués à Lorient sur un total de 1149.
La base et la plupart des installations sont retrouvées en bon état, et sont prêtes à être utilisées à nouveau.
Le 19 mai 1945, la Marine Nationale prend possession du site, et le remet en service, pour accueillir dès le 31 juillet le submersible « Curie » (P67) cédé aux Forces Navales Françaises libres par les britanniques (nom d’origine HMX Vox construit en 1943).
Lorsque les troupes américaines arrivent le 10 mai 1945 dans la base, ils constatent qu’un sous-marin est abrité dans une alvéole de k1. Il s’agit du U-123, de type IX-B. Il qui est entreposé là depuis le 17 juin 1944, rendu inutilisable le 19 aout 1944. Réparé, le submersible devient prise de guerre pour la Marine française et prend le nom de Blaison (S 611) le 23 juin 1947 et navigue sous pavillon tricolore jusqu’à son désarmement le 18 août 1959.
Un autre submersible le U-129 est dans une autre alvéole, mais trop endommagé par le sabordement, il sera ferraillé.
En 1946 le site prend le nom de Jacques Stosskopf (1898-1944) en l'honneur de l'ingénieur d'origine alsacienne, germanophone, résistant (réseau Alliance) qui travaillant pour l’occupant, a pu transmettre de nombreuses informations capitales. Arrêté le 21 février 1944 et déporté au camp alsacien du Struthof où il est fusillé le 1er septembre 1944 à 45 ans.
La Marine Nationale va utiliser cette énorme infrastructure pendant plusieurs décennies jusqu’à la fermeture définitive en 1997, en utilisant ce qui a été construit en une poignée de mois…
Le site démilitarisé revient à la communauté de communes du Pays de Lorient, qui loue dès la démilitarisation du site quelques alvéoles de K II pour du stockage, mais le site est immense, et tombe un peu à l’abandon. Je l’avais visité en 1998 avec une guide locale, parmi les herbes folles, l’impression était étrange d’abandon, mais tout était resté figé comme si la Marine était partie la veille.
¨Pour trouver un avenir à ce site totalement impossible à effacer du paysage, un concours international d’idées est organisé en janvier 1999. Les premiers travaux démarrent dans les années 2000. Il s’agit de faire du site un pôle économique, nautique et touristique, tout en intégrant sa dimension historique internationale et son envergure architecturale et en préservant la compréhension technique de la base.
KI et K II sont transformés pour devenir des outils de production modernes pour l’industrie nautique, et notamment la course au large. La longueur des alvéoles est idéale pour le moulage de pièces de coque de grande longueur(multicoques), malgré des contraintes techniques liées au bâti lui-même (comment percer facilement des orifices de ventilation par exemple dans des murs de plusieurs mètres d’épaisseur ?)
En 2008, 880 mètres de pontons sont installés pour recevoir des bateaux à fort tirant d’eau. Le ponton « course au large » peut recevoir 7 multicoques océaniques, 7 monocoques de 60 pieds, 28 monocoques de régate de 12 mètres. Le ponton location-tourisme peut abriter 12 multicoques de 12 à 15 mètres et 31 monocoques de 12 mètres et est également doté d’un ponton d’accueil des vedettes à passagers. Ce pôle bénéficie d'infrastructures adaptées : 6 000 m² de bâtiments, hangars, voileries, bureaux. Trois hangars, signés par Jean-François Revert, abritent les bateaux de course du pôle nautique. Ils sont une réponse légère et contemporaine aux trois blockhaus monumentaux et n’altèrent pas l’intégrité du site.
Aujourd’hui lieu de mémoire, des visites guidées patrimoniales sont proposées régulièrement, et ce depuis juin 1997 pour le K3.
Le Musée sous-marin du Pays de Lorient est aménagé dans la Tour Davis en 1999.

La Cité de la Voile Eric Tabarly, conçue par Jacques Ferrier, ouvre le 5 avril 2008. Elément majeur de la reconversion du site, c’est à la fois un lieu d’exposition permanente, un centre de ressources, un espace d’animations et le port d’attache des Pen Duick. L'ensemble du site, avec le bâtiment de la cité de la voile Eric Tabarly.

Photo F. HenryL'ensemble du site, avec le bâtiment de la cité de la voile Eric Tabarly. Photo F. Henry
L’implantation d'un port à sec et de commerces vient compléter la transformation du site.
Dernier « cadeau » de la Marine Nationale, le SM « La Flore » qui repose depuis 1995 sur un berceau de stockage.
Il est mis à l’abri dans l’alvéole N° de K I en 1997, pour ne revoir la lumière que bien des années plus tard, pour être inauguré et ouvert à la visite en 2010, ainsi que son musée interactif qui occupe une partie de K II.

Mais c’est une autre histoire…

Sources:

http://www.materielsterrestres39-45.fr
https://patrimoine.lorient.bzh
http://u-boote.fr
https://loup-mouton.blogspot.com
• Luc Braeuer, La base de sous-marins de Lorient, Le Pouliguen, Liv'Édition, 2008
• Luc Braeuer, U-boote ! Lorient juin 40-juin 41 : le premier âge d'or, Le Pouliguen, Liv'Édition, 2009

Galerie d'images