Qu'est ce qu'un fort de type Séré de Rivières ?
Après la guerre de 1870, il apparait que l’enceinte urbaine fortifiée n’est plus la réponse adaptée à l’artillerie nouvelle, et qu’il faut arrêter l’ennemi à plus grande distance de la ville à protéger.
Le Comité de Défense rend un rapport, le 9 mai 1874, initiant les caractéristiques détaillées de ce que l’on appellera désormais un fort « Séré de Rivières » ; ce qui peut se traduire par l'abandon du système bastionné pour l'adoption du système polygonal.
L’ancienne enceinte fortifiée, là où il y en a une, encadre toujours le noyau central concentrant les organes militaires « supports », l’État Major, etc… Mais, et c'est là la nouveauté, on édifie une ceinture de forts situés à distance variable (jusqu'à environ 13 km du noyau central), et séparés de +/- 4 km l’un de l’autre, de telle sorte que chacun peut aider, le cas échéant, à la défense de son voisin.
Ces forts de « ceinture » ou « détachés » ont leurs façades des casernements et leur entrée tournées face au noyau central, de façon à offrir leur dos à l’ennemi.
Les forts « d’arrêt » quant à eux, sont situés bien plus isolément, souvent bien éloignés de la place forte, car ils ont pour mission d’interdire le passage à l’ennemi via un point particulier, vallée, route, voie ferrée, canal… Le fort d’arrêt dispose ses organes de défense tout autour de lui, car il est susceptible d’être attaqué de tout point. La disposition de ses organes en tient évidemment compte.
Enfin les forts de « rideau », sont également des ouvrages isolés mais qui, comme leur nom l’indique, sont alignés face à l’ennemi potentiel, et peuvent se soutenir mutuellement.
Sur l’ensemble de ces forts, l’essentiel de l’artillerie est disposée à ciel ouvert, devancée par des talus de terre, encadrée par les « traverses-abri ».
On distingue 3 façons de disposer les pièces d’artillerie, on parlera de « batterie haute » ou de «cavalier d'artillerie» lorsque les pièces d’artillerie sont situées au plus haut ; de « batterie basse » lorsque le sommet du fort est dévolu aux observatoires et à l’infanterie tandis que les pièces d’artillerie sont disposées en retrait des fronts latéraux et de tête et, enfin, de fort à « crête unique » lorsque artillerie et infanterie se retrouvent au même niveau, en arc de cercle autour d’une cour centrale. (souvent le second type et le troisième sont identiques ou se chevauchent).
Cette disposition à ciel ouvert rend les pièces d’artillerie vulnérables et, très vite, avec le béton spécial puis le béton armé, on protègera les pièces d’artillerie sous une épaisse carapace de métal et/ou de béton.
Les critères de construction de chaque ouvrage tiennent compte des points suivants :
-La fonction dévolue à l’ouvrage, fort d’arrêt, de rideau ou de place.
-Les positions où l’ennemi peut prendre pied, et installer son artillerie pour menacer le fort.
- La nature du terrain, le relief…
- Le nombre de pièces prévues et, par conséquent, les quantités de munitions, poudres, cartouches.
-Par voie de conséquence, le nombre de soldats nécessaire à la mise en œuvre de ces pièces, et au fonctionnement du fort. Cela détermine la taille et surface des casernements.
En visitant un grand nombre de forts, on se rend compte que s’il y a forcément des « grandes lignes » communes, chaque fort est différent de l’autre.
En effet, chaque chefferie dispose de chefs du Génie chargés de l’exécution et de la surveillance des travaux, dont le projet et les plans ont été validés. Ainsi, chaque chefferie aura ses marottes spécifiques dans la conception des ouvrages fortifiés
La construction d’un ouvrage s’étend sur deux à cinq années.
De façon plus concrète, un fort Séré de Rivières de « 1ère génération » (avant 1885) se caractérise par une construction en pierre (ou tout autre matériau local), des cours avec des façades de casernements à larges ouvertures, un flanquement des fossés assuré par des caponnières, de gorge, simples, doubles, voire triples.
Par la suite, après 1885 et la « crise de l’obus torpille », la puissance croissante des projectiles avec l’invention d'un explosif brisant suffisamment stable pour ne pas exploser sous le coup du départ (ex. la Mélinite) rendit ces forts de « 1ère génération » obsolètes.
Le mortier de certains forts à peine sec, que déjà il fallait tout reprendre !
Il y eut plusieurs étapes : renforcement des voutes et façades avec du « béton spécial », on ajoute une couche de sable de 1 m d’épaisseur, formant couche d'amortissement, par-dessus les voutes de pierres, pour limiter les déconstructions et réutiliser ce qui peut l’être. Suivant les priorités stratégiques, des renforcements importants furent concrétisés dont la démolition des caponnières, jugées trop vulnérables et remplacées par des coffres de contrescarpe bétonnés. Des casernements bétonnés « à l’épreuve » (des bombardements) sont également coulés.
Les travaux portent aussi sur la sécurisation des accès, la diminution des ouvertures, les traverses-abris et les canons à l’air libre sont remplacés par des tourelles de 75 ou de 155.
Des tourelles de mitrailleuses sont installées pour la défense rapprochée des glacis des ouvrages. Il y eut aussi des travaux d’électrification, l’amélioration des systèmes de ventilation, voire de chauffage. Évidemment les travaux ne se résument pas à ces quelques travaux détaillés. Ce furent de nouveaux chantiers de grande ampleur, la refonte complète de certains ouvrages, équivalente à la construction d’ouvrages nouveaux.
Un effort financier et logistique énorme à l’échelle du pays ; tel que pour l'essentiel, seules quatre places furent modernisées : Verdun, Toul, Épinal et Belfort.
Le déplacement des frontières aboutit aussi au déclassement de certaines places fortes, jugées trop lointaines, de faible importance stratégique telles Dijon, Reims, Lille,...
(merci à Luc Malchair pour sa relecture bienveillante)